Examen des campements de personnes en situation d’itinérance de la défenseure

Publication Type

Rapport provisoire

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Synthèse

Le 23 février 2023, la défenseure fédérale du logement a lancé un examen systémique des problèmes de droits de la personne auxquels sont confrontés les résidents des campements au Canada. Le présent examen, conformément au paragraphe 13.1(1) de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement (la LSNL), repose sur une recherche sur les campements de personnes en situation d’itinérance commandée par le Bureau de la défenseure fédérale du logement (BDFL) et publiée en décembre 2022. Cette recherche a confirmé qu’une crise des droits de la personne, y compris une violation des droits des Autochtones, dans les campements sévit actuellement dans les villes de partout au Canada.

Dans le cadre de l’examen, les termes « campements de personnes en situation d’itinérance » ou « campements » font référence à des hébergements temporaires en plein air pour des personnes et des groupes de personnes non logées et en situation d’itinérance qui ont été mis en place, souvent sans autorisation, sur des propriétés publiques ou des terrains privés. L’augmentation du nombre et de la taille de ces campements est la conséquence d’un manque criant de logements accessibles, abordables et adéquats. La défenseure reconnaît que la terminologie pose souvent des problèmes, mais elle a choisi, dans son rapport provisoire, d’utiliser la terminologie la plus couramment employée à l’heure actuelle. Elle reconnaît toutefois que l’expression « campements de personnes en situation d’itinérance » ne reflète pas nécessairement la réalité de chacun et chacune, et qu’elle diffère des termes couramment utilisés au niveau international, tels que « installations de fortune ».

Il s’agit du premier examen systémique entrepris par la défenseure dans le cadre de la LSNL. Guidé par les principes des droits de la personne qui sous-tendent la LSNL, l’examen a été pensé pour offrir un espace propice à un véritable dialogue et amplifier les voix des résidents des campements en tant que détenteurs de droits . Les personnes non logées apportent une perspective essentielle et une compréhension unique des systèmes qui les privent de leurs droits. Ainsi, ils « doivent être reconnus comme des agents centraux de la transformation sociale nécessaire à la réalisation du droit à un logement adéquat ».

Depuis février, la défenseure a pris part à un certain nombre d’événements à travers le pays pour entendre de vive voix le témoignage de résidents des campements et de défenseurs des droits des communautés locales à Montréal, Saskatoon, Winnipeg, Vancouver, Toronto et Calgary. Consciente du fait que les Autochtones sont largement surreprésentés dans des campements, la défenseure a également pris part à un certain nombre de consultations ciblées auprès des peuples autochtones et des organismes qui les représentent. La défenseure a rencontré des organismes autochtones nationaux ainsi que de nombreux organismes et défenseurs des droits des autochtones locaux lors de ses visites à Montréal, Saskatoon et Winnipeg, ainsi que lors de ses visites en Colombie-Britannique (août 2022), dans le Nord (octobre 2022) et en Saskatchewan (juillet 2023).

En avril, la défenseure a lancé un portail en ligne afin d’inviter les gens et les organismes à présenter des observations en vue de cet examen. Consciente que de nombreuses personnes vivant dans des campements pourraient difficilement accéder à cet outil, elle s’est associée à The Shift et à des organismes locaux à Victoria, Vancouver, Hamilton, Peel, Ottawa, Gatineau, Montréal, Moncton et Halifax pour aider les résidents des campements à faire part de leur expérience et à proposer des solutions. Avec l’aide de ces partenaires locaux et autres, 313 personnes ayant vécu dans des campements ont présenté des observations. En outre, 53 défenseurs des droits, organismes et municipalités ont fait part de leur point de vue et de leurs observations.

Enfin, la défenseure s’est engagée auprès des responsables à tous les ordres de gouvernement concernant leurs obligations en matière de droits de la personne en ce qui concerne le logement et les campements.

La défenseure a encouragé la participation des municipalités de tout le pays en s’engageant auprès de la Fédération canadienne des municipalités (FCM), du Caucus des maires des grandes villes de la FCM et de l’Association des municipalités de l’Ontario (AMO). En plus de recevoir des réponses écrites, la défenseure et son équipe ont rencontré un certain nombre de dirigeants et de fonctionnaires municipaux qui s’efforcent de mettre en place des mesures efficaces pour les problèmes de droits de la personne posés par les campements.

Dans un certain nombre de cas, lorsque les municipalités prenaient des mesures qui semblaient contrevenir aux droits de la personne des résidents des campements, la défenseure a envoyé des lettres exprimant ses préoccupations aux maires, aux conseils municipaux et aux autorités provinciales compétentes, et a fait part de ses commentaires dans les médias.

Tout au long du processus, la défenseure et son équipe ont également rencontré des fonctionnaires fédéraux sur une base régulière afin de les tenir informés du processus d’examen et d’en savoir davantage sur les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour élaborer une intervention.

La défenseure a collaboré avec les commissions provinciales des droits de la personne de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Québec. En avril, elle a également rencontré les hauts fonctionnaires provinciaux et territoriaux du Forum intergouvernemental sur le logement, rencontre où elle les a informés de l’examen et s’est engagée à leur communiquer le rapport provisoire.

Le rapport provisoire n’a pas pour but de rendre compte de toutes les expériences vécues par les résidents des campements dans l'ensemble du pays. Il vise plutôt à jeter les bases d’une réflexion plus approfondie et à identifier des solutions fondées sur les droits de la personne. Le rapport final de la défenseure (attendu au début 2024) présentera ses conclusions ainsi que des recommandations d’action. La défenseure s’est engagée à publier dans son rapport final des conclusions et des recommandations concrètes qui permettront d’accroître la dignité, la sécurité et la protection des droits de la personne, y compris les droits énumérés dans la Déclaration universelle des droits de la personne, des personnes en situation d’itinérance et vivant dans des campements. La défenseure se réjouit de poursuivre son engagement dans les mois à venir en vue de la préparation de ce rapport final.

Ce que nous avons entendu

Le rapport résume les expériences et les informations partagées avec la défenseure lors des rencontres en personne et les 366 observations reçues de particuliers et d’organismes entre avril et juillet 2023.

Les résidents des campements, les défenseurs et les municipalités ont fait part de leurs expériences et de leurs préoccupations en ce qui concerne :

  • les obstacles à la sécurité du logement
  • les refuges d'urgence inadéquats
  • la crise de l’itinérance chez les peuples autochtones
  • le financement inadéquat des programmes pour les services communautaires
  • la nécessité de mesures fondées sur les droits de la personne et d'une responsabilité accrue
  • les expulsions et démantèlements des campements
  • la violence, la stigmatisation, l’isolement accru et le risque de préjudice
  • les risques pour la sûreté et la sécurité dans les campements et le soutien des pairs
  • les expériences genrées dans les campements
  • les besoins fondamentaux non satisfaits des résidents des campements
  • l’absence de services et de soutien

Tous les ordres de gouvernement au Canada ont le devoir de faire respecter les normes internationales en matière de droits de la personne, ainsi que les droits garantis par la Charte pour tous les Canadiens et Canadiennes, et ce, particulièrement pour les personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées. Les conversations que la défenseure a eues et les observations qu'elle a reçues au cours des derniers mois ont renforcé les préoccupations concernant les droits des personnes en situation d’itinérance et vivant dans des campements.

L’augmentation du nombre de campements et de personnes en situation d’itinérance que l’on observe partout au pays témoigne de l’inaction du gouvernement et d’une allocation inadéquate des ressources pour les programmes et les services essentiels qui s’étale sur de nombreuses années. Par leur fonctionnement en silos bureaucratiques et en territoires administratifs isolés, tous les gouvernements manquent également à leur devoir de protéger la vie. La seule façon de régler les problèmes interconnectés comme l’approvisionnement en drogues contaminées, la crise des opioïdes, l’extrême pauvreté, le colonialisme, le racisme et les campements est d’adopter une approche pangouvernementale et de faire collaborer toutes les administrations.

Aujourd’hui, le droit fondamental des résidents des campements à exister en tant que membres égaux de la société et à vivre dans la dignité est en jeu au Canada. Tout manquement à l’obligation d’offrir un accès aux services de base et de répondre aux besoins essentiels des résidents des campements constitue non seulement une violation du droit fondamental au logement et au droit de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale, mais peut également s’apparenter à un traitement cruel et inhumain.

Tous les gouvernements doivent agir pour mettre un terme aux expulsions forcées des résidents des campements, pour mettre fin à la criminalisation des personnes non logées, pour lutter contre la discrimination, la stigmatisation et les stéréotypes négatifs à l’égard des personnes non logées, et pour garantir l’accès à des recours juridiques en cas de violation des droits liés au logement.

Dans leurs efforts pour lutter contre l’itinérance et améliorer l’accès au logement, de nombreux gouvernements ne respectent pas le droit des résidents des campements à participer aux décisions qui les concernent.

Les droits des peuples autochtones, des femmes, des personnes de diverses identités de genre, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap sont également touchés.

Souvent, les gouvernements ne respectent pas le droit des peuples autochtones à l’autodétermination, notamment leur droit d’élaborer et de mettre en œuvre leurs propres politiques et programmes de logement, et d’accéder à des ressources financières suffisantes pour les mettre en œuvre. Cela a une incidence négative supplémentaire sur l’accès à des logements adaptés sur le plan culturel.

La défenseure est particulièrement préoccupée par les manquements au respect, à la protection et à l’exécution des obligations liées :

  • au droit à la vie et à la dignité protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte canadienne des droits et libertés;
  • aux droits des peuples autochtones tels qu’ils sont protégés par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones;
  • au droit à l’égalité formelle et substantielle protégé par le PIDCP, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), d’autres traités internationaux, la Charte et les codes provinciaux des droits de la personne;
  • au droit à un logement adéquat protégé par le PIDESC et reconnu par la Loi sur la stratégie nationale sur le logement.

Il est encourageant de constater que certaines administrations municipales prennent des mesures pour adopter des plans et des programmes conformes aux droits de la personne afin de s’attaquer aux campements et d’éliminer l’itinérance le plus rapidement possible. Le rapport provisoire met en évidence un certain nombre de ces pratiques prometteuses afin de démontrer que les approches fondées sur les droits de la personne peuvent être efficaces. Cependant, il faut aller beaucoup plus loin à l’échelle nationale.

Solutions potentielles

La défenseure a entendu qu’il y avait un besoin urgent de solutions conçues et mises en œuvre selon une approche fondée sur les droits de la personne afin de respecter les droits de la personne et la dignité des résidents des campements, tout en remédiant aux défaillances systémiques qui contribuent à la situation. La défenseure a entendu à plusieurs reprises qu’il fallait changer le discours sur les campements et reconnaître que ces derniers sont le symptôme de défaillances systémiques et non la faute d’individus.

La défenseure reconnaît que les solutions passent finalement par un logement adéquat au sens de la définition des Nations unies, mais qu'il y a très peu de logements qui correspondent à cette définition à l'heure actuelle. Tout en recherchant des solutions à moyen et long terme pour fournir des logements adaptés aux besoins des personnes non logées, il est nécessaire de prendre des mesures immédiates pour protéger les droits fondamentaux des personnes vivant dans des campements, afin qu'elles puissent vivre dans la dignité et la sécurité et qu'elles ne soient pas victimes de discrimination.

De nombreuses solutions potentielles ont été proposées à la défenseure. En envisageant ces solutions, il est essentiel de se rappeler que la complexité des problèmes nécessitera des approches holistiques à l’échelle de l’ensemble du gouvernement.

La défenseure reconnaît que les municipalités sont la première ligne de réponse aux campements, mais qu'elles ne sont souvent pas habilitées et ne disposent pas des ressources nécessaires pour faire face aux crises complexes en matière de logement et de santé publique qui se développent au sein de leurs communautés.

Le rapport provisoire mettra en évidence les solutions relatives à :

  • garantir d’une action fondée sur les droits de la personne et une plus grande responsabilité
  • collaborer activement avec les résidents des campements
  • traiter les résidents des campements avec dignité et respect
  • faire respecter les droits des peuples autochtones
  • répondre aux besoins fondamentaux des résidents des campements
  • reconnaitre le droit à l’existence des campements et à l’arrêt des opérations de démantèlement et d’expulsion
  • faire respecter le droit des résidents des campements de disposer du meilleur état de santé physique et mentale possible
  • améliorer la sûreté et la sécurité de tous les résidents des campements
  • prioriser les solutions à long terme en matière de droit à un logement adéquat
  • garantir de l’égalité et de la non-discrimination dans la prestation de soutiens et de services aux personnes en situation d’itinérance
  • améliorer les conditions des refuges d’urgence et leur accès

Prochaines étapes

Le rapport a pour but de jeter les bases d’une réflexion plus approfondie et d’une mobilisation des détenteurs de droits, des défenseurs, des gouvernements autochtones et des organismes qui représentent les Autochtones, ainsi que des gouvernements provinciaux, territoriaux, municipaux et fédéral. Ces discussions permettront de combler d'éventuelles lacunes et d'étayer les conclusions et les recommandations qui figureront dans le rapport final de la défenseure.

Après la conclusion de l’examen, au début de l’année 2024, la défenseure soumettra ses conclusions et recommandations au ministre fédéral responsable du logement, mais fera également des recommandations à d’autres ministères, à d’autres ordres de gouvernement et à d’autres intervenants. Elle continuera à travailler avec les détenteurs de droits et les autres intervenants pour faire avancer la réalisation progressive du droit à un logement adéquat, conformément aux exigences de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement et à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le ministre est tenu de répondre au rapport de la défenseure et cette dernière assurera le suivi de la mise en œuvre de ses recommandations.