Lettre ouverte – le logement accessible et le Code national du bâtiment

La défenseure fédérale du logement note que depuis la publication de cette lettre, le Comité canadien de l’harmonisation des codes de construction a proposé de nouvelles modifications au Code national de la construction et a entamé une consultation distincte sur ces modifications supplémentaires. Plusieurs des nouvelles modifications proposées visent à accroître l'accessibilité des logements. La défenseure se réjouit de ces nouvelles modifications substantielles et estime qu'elles devraient être incorporées dans les nouveaux codes du bâtiment. Toutefois, la défenseure reste préoccupée par la portée limitée de ces modifications et par le fait qu'elles ne respectent toujours pas les normes d'accessibilité les plus récentes pour les logements résidentiels ainsi que les obligations du Canada en matière de droits de la personne.

À :

L’honorable François-Philippe Champagne, c.p., député
Ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

L’honorable Sean Fraser, c.p., député
Ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités

L’honorable Kamal Khera, c.p., députée
Ministre de la Diversité, de l’Inclusion et des Personnes en situation de handicap

L’honorable Arif Virani, c.p., c.r., député
Ministre de la Justice et procureur général du Canada

Ministres,

Je vous écris en réponse à la récente consultation du Comité canadien de l’harmonisation des codes de construction (CCHCC) sur les modifications proposées à l’édition 2020 du Code national du bâtiment (CNB). Mon rôle en tant que défenseure fédérale du logement est de susciter des changements en ce qui a trait aux principaux problèmes systémiques relatifs au logement et de tenir les décideurs du gouvernement responsables de leurs obligations en matière de droits de la personne liées au logement. Je continue d’être très préoccupée par la grave pénurie de logements accessibles et adaptés au Canada, et je ne crois pas que les modifications proposées aux exigences d’accessibilité dans le CNB soient suffisantes pour relever ce défi.

Le logement accessible est un élément fondamental du droit à un logement adéquat, un droit qui est clairement reconnu et affirmé en vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement et du droit international. Ce droit oblige le Canada à veiller à ce que les gens aient accès à des logements abordables, sécuritaires, accessibles et sûrs, exempts de discrimination ou de harcèlement. En vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, le droit de la personne à un logement adéquat doit être intégré à toutes les lois, politiques et programmes en matière de logement au Canada.

À l’heure actuelle, le parc de logements du Canada est loin de répondre à cette norme; ce qui a des conséquences néfastes sur les 8 millions de personnes en situation de handicap au Canada et sur notre population qui vieillit rapidement. Par exemple, en raison de la pénurie de logements accessibles, de nombreuses personnes âgées et personnes en situation de handicap sont contraintes de vivre dans des logements inaccessibles, inappropriés ou dangereux. Cela augmente considérablement leur risque de blessure, en partie en raison d’un risque accru de chutes, mais aussi leurs problèmes de santé mentale. De nombreuses personnes qui pourraient autrement vivre de manière autonome sont contraintes de vivre dans des foyers de soins de longue durée et des établissements de soins de santé qui sont non seulement inappropriés, mais aussi extrêmement coûteux, ce qui représente un fardeau pour le système de santé déjà taxé. Ce ne sont là que deux exemples des difficultés physiques, sociales et financières oppressives que les gens éprouvent en raison de la pénurie de logements accessibles.

Les codes du bâtiment du Canada sont l’un des principaux facteurs à l’origine de ce problème. Cela comprend le CNB, qui sert de code modèle afin que les gouvernements provinciaux et territoriaux adoptent en tout ou en partie les normes. Les exigences actuelles en matière d’accessibilité pour les logements neufs dans le CNB sont extrêmement limitées. Par exemple, bien que des modifications progressives limitées aient été apportées pour promouvoir une plus grande accessibilité dans les grands immeubles résidentiels à logements multiples, la version actuelle du CNB exempte toujours un vaste groupe de logements à petite échelle (p. ex. les maisons individuelles et jumelées, les duplex et les triplex) de se conformer à toute exigence d’accessibilité (voir l’article 3.8.1.1 du CNB).

L’absence d’exigences exhaustives en matière d’accessibilité dans les codes du bâtiment du Canada n’est pas conforme aux obligations internationales et nationales du Canada en matière de droits de la personne, telles qu’elles sont énoncées dans la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, la Charte des droits et libertés et la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Cela va également à l’encontre de l’esprit de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Loi canadienne sur l’accessibilité, qui engage le gouvernement fédéral à créer un Canada sans obstacle d’ici 2040.

L’importance de la Charte mérite une attention particulière en ce qui concerne les codes du bâtiment. L’article 7 de la Charte protège les personnes des atteintes injustifiées à leur vie, à leur liberté et à leur sécurité, et l’article 15 protège les personnes des mesures discriminatoires prises par l’État. Le fait que l’État autorise systématiquement la construction de logements inaccessibles, qui peuvent être à la fois physiquement dangereux pour les personnes en situation de handicap et préjudiciables à leur bien être et à leur autonomie, viole clairement ces droits. Permettre la construction de logements que les personnes en situation de handicap et les personnes âgées ne peuvent pas utiliser, à défaut d’un coût personnel élevé, est à la fois discriminatoire et constitue une atteinte à leur vie, à leur liberté et à leur sécurité.

Dans son document d’orientation, Accessibilité dans les bâtiments, l’ancienne Commission canadienne des codes du bâtiment et de prévention des incendies a reconnu l’importance de la Charte et des engagements du Canada en matière de droits de la personne lors de l’élaboration du CNB.Note de bas de page 1 Toutefois, à ce jour, cet engagement déclaré à l’égard des droits de la personne n’a pas entraîné suffisamment de modifications importantes aux exigences d’accessibilité pour les logements.

La récente consultation sur les mises à jour de l’édition 2020 du CNB a permis de proposer des modifications limitées pour résoudre ce problème, mais elles sont loin d’être à la hauteur des modifications de grande portée qui sont nécessaires. Seulement deux modifications importantes aux exigences actuelles en matière d’accessibilité pour les logements ont été proposées (modification proposée 1883 et modification proposée 1957). Elles traitent des entrées de logements adaptables et des contrôles accessibles dans les logements. Le CNB continue à prendre de plus en plus de retard par rapport aux normes d’accessibilité les plus à jour pour le logement résidentiel (p. ex. la norme CSA/ASC B652 : 23 Logements accessibles; la norme B651:23 Conception accessible pour l’environnement bâti; et le guide sur le logement prêt à être accessible).

Dans le Plan du Canada sur le logement de 2024, le gouvernement fédéral a indiqué qu’il ouvrira des consultations spéciales sur le CNB cet été afin d’éliminer les obstacles réglementaires et de simplifier le processus d’inspection. Ces consultations spéciales devraient également être l’occasion de donner la priorité et d’accélérer la réforme du CNB r pour aborder l’accessibilité et l’adaptabilité, au lieu d’attendre jusqu’en 2030.

Je demande donc au gouvernement du Canada de faire preuve de leadership sur ces questions en prenant les mesures suivantes :

  1. Améliorer le processus de consultation pour les modifications à apporter au CNB. Le processus actuel ne donne pas au grand public, dont les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, une occasion significative de participer à l’élaboration du CNB. Pour rendre ces consultations plus accessibles et inclusives, je vous invite à mettre en œuvre incessamment les recommandations du rapport de l’ARCH Disability Law Centre sur la participation significative des personnes en situation de handicap à l’élaboration de la réglementation. Je vous encourage à envisager de demander à Normes d’accessibilité Canada (NAC) de diriger l’élaboration et les consultations sur les sections du CNB relatives à l’accessibilité et à l’adaptabilité. NAC dispose d’une approche de l’élaboration des normes qui inclut les voix et l’expertise des personnes en situation de handicap. L’organisation est financée par le gouvernement du Canada et est accréditée pour élaborer des normes d’accessibilité pour n’importe quelle administration au Canada.
  2. Élaborer des normes d’accessibilité plus exhaustives pour les logements à petite échelle. Bien que je me réjouis qu’une proposition soit à l’étude pour supprimer l’exemption dans le CNB pour ce type de logement, cela n’a guère de sens tant que vous n’élargissez pas les exigences d’accessibilité pour ces logements. Ces nouvelles exigences devraient s’inspirer des normes d’accessibilité les plus à jour pour le logement résidentiel, comme celles citées ci-dessus. Les codes du bâtiment qui s’appliquent au logement à grande échelle permettraient aux personnes en situation de handicap de rendre visite librement à leurs amis et à leur famille à l’intérieur et à l’extérieur de leur communauté en toute sécurité et dans la dignité.
  3. Améliorer les normes d’accessibilité actuelles pour les immeubles résidentiels à logements multiples. Les exigences actuelles en matière d’accessibilité du CNB pour les grands immeubles résidentiels à logements multiples comportent des limites flagrantes. Par exemple, un parcours sans obstacle dans les suites d’habitation n’est requis que si les logements ont été désignées pour être « accessibles aux personnes ayant une incapacité physique » (voir l’article 3.8.2.3(2) du CNB). Ces exigences devraient également être révisées pour se conformer aux normes d’accessibilité les plus récentes pour les logements.
  4. Intégrer explicitement les obligations internationales et nationales du Canada en matière de droits de la personne dans les mandats des concepteurs du Code. Cela comprend le Comité canadien de l’harmonisation des codes de construction et la Table stratégique canadienne sur l’harmonisation des codes de construction. Bien que l’ancienne Commission canadienne des codes du bâtiment et de prévention des incendies ait reconnu ces obligations, elle ne semble pas jouer un rôle important dans les processus décisionnels entourant l’élaboration du CNB. Le droit à un logement accessible devrait être intégré à tous les aspects de la politique du Canada en matière de logement, y compris les codes du bâtiment.
  5. Entreprendre et publier d’autres recherches sur les risques que présentent les codes du bâtiment actuels pour les personnes en situation de handicap et les personnes âgées. Les recherches existantes sur les répercussions sur la santé et la sécurité et les répercussions socioéconomiques des codes du bâtiment actuels pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap sont très limitées. Par conséquent, de nombreuses propositions visant à améliorer l’accessibilité dans le CNB sont évaluées sans une compréhension complète des coûts en matière de santé, de sécurité et de finances que l’inaccessibilité impose à ces groupes. Des recherches plus approfondies permettraient de mieux éclairer l’analyse des répercussions menée sur les modifications proposées au CNB et appuieraient de manière concrète l’adoption d’exigences plus rigoureuses en matière d’accessibilité dans les codes du bâtiment partout au Canada.

J’aimerais conclure en disant que le Canada est au milieu d’un effort sans précédent pour faciliter la construction de nouveaux logements. Il est donc plus important que jamais de veiller à ce que les logements soient construits de manière à être accessibles et inclusifs. Des mesures rapides sont nécessaires pour que le Canada respecte ses obligations en vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement et atteigne son objectif de devenir une société sans obstacle.

Veuillez agréer, honorables ministres, l’expression de mes sentiments distingués.

Marie-Josée Houle
Défenseure fédérale du logement

c.c.: Stephanie Cadieux
Dirigeante principale de l’accessibilité

Date modifiée: